J. Locke (1632- 1704)
J. Locke est
contemporain de la Révolution anglaise 1688. Son apport philosophique pur
dépasse de loin sa contribution au plan des idées politiques. Son œuvre est
proche de Spinoza du fait que les droits naturels vont trouver chez lui une
traduction dans les droits de l’homme.
La société politique
Dans son œuvre
Traité du gouvernement civil (1650), J. Locke s’interroge sur les fins de la société politique et du
gouvernement. Pour lui, l’homme dans
l’état de nature est libre, il est aussi seigneur absolu de sa personne et de
ses possessions. Et s’il intègrait la
société civile, ce ne serait pas pour
perdre ou pour céder ses droits naturels mais plutôt pour que la jouissance de
ces droits ne soit pas incertaine. Il écrit : « … dans l’état de
nature, l’homme ait un droit…la jouissance de ce droit est pourtant fort
incertaine et exposée sans cesse à l’invasion d’autrui. Car, tous les hommes
étant rois, tous étant égaux et la plupart peu exacts observateurs de l’équité
et de la justice, la jouissance d’un bien propre, dans cet état, est mal
assurée, et ne peut guère être tranquille… »
Dans la société
politique, des lois sont établies dans l’objectif de la protection de ces
droits. Ces lois posées d’un commun
accord précisent les droits, les infractions, les questions de justice et
d’injustice. A cette question de la loi s’ajoute la question de la présence
d’un juge reconnu comme étant impartial.
Pour J. Locke, il ne suffit pas que le juge prononce son jugement, il faut
qu’il y ait un pouvoir pour l’exécuter.
Les individus recourent à ce pouvoir pour obtenir gain de cause. Ainsi, écrit-il :« Les hommes
nonobstant tous les privilèges de l’état de nature, ne laissant pas d’être dans
une fort fâcheuse condition tandis qu’ils demeurent dans cet état-là, sont
vivement poussés à vivre en société. De là vient ce que nous voyons
rarement qu’un certain nombre de gens vivent quelque temps ensemble, en cet
état. Les inconvénients auxquels ils s’y trouvent exposés, par l’exercice
irrégulier et incertain du pouvoir que chacun a de punir les crimes des autres,
les contraignant de chercher dans les lois établies d’un gouvernement, un
asile et la conservation de leurs
propriétés… »
Cette société
civile est érigée pour parer aux instincts et réflexes primaires des individus.
Ainsi, selon J. Locke, on se dépouille de ce pouvoir de faire tout ce qu’on
juge nécessaire pour sa propre conservation afin qu’il soit réglé par les lois
de la société. On se défait aussi du pouvoir qui consiste à punir et de la
force naturelle pour assister et fortifier le pouvoir exécutif d’une société.
L’avantage que les hommes tirent de cette société politique est incomparable
par rapport à la société naturelle. Ce qu’il cède de ses droits naturels est le
strict nécessaire de ce que le bien, la prospérité et la sûreté de la société à
laquelle il s’est joint requièrent (J. Locke).
Partant du
postulat que ces hommes qui ont intégré la société politique sont raisonnables
et par conséquent sont à la recherche d’une situation meilleure. Ce faisant
« l’autorité législative établie par eux ne peut jamais être supposée
devoir s’étendre plus loin que le bien public ne le demande ». Le
pouvoir qui résulte de ce compromis entre les hommes sortis de l’état de nature
doit se conformer aux lois établies par ces derniers. Aussi la justice et l’équité
doivent-elles prévaloir dans les décisions rendues par les juges. Le souci de
la tranquillité, la sureté et le bien du peuple doivent animer et motiver toute
décision et action du pouvoir en place.
Répartition des pouvoirs
Selon J. Locke, il existe trois pouvoirs dans un Etat :
Un pouvoir
législatif : il règle la manière dont les forces d’un Etat sont
agencées ; il règle également leur manière d’agir pour la conservation de
la communauté et de ses membres. La règle juridique doit émaner de plusieurs
personnes qui à leur tour sont sujettes
à cette règle. Ce qui est une preuve que cette règle ait pour objectif le bien
public.
Pour que ces lois soient observées il est impératif
d’avoir un deuxième pouvoir. Ce dernier est appelé pouvoir exécutif. Il doit être séparé du législatif, selon J.
Locke. Ce pouvoir s’attèle à exécuter les lois positives.
Le troisième
pouvoir est appelé fédératif. Et bien qu’il ait une zone de partage avec le
pouvoir exécutif, ce pouvoir fédératif veille sur la préservation des intérêts
de l’Etat vis-à-vis du monde extérieur. Et « … quoique le pouvoir
exécutif et le pouvoir fédératif de chaque société soient réellement distincts en eux-mêmes, ils
se séparent néanmoins mal aisément, et on ne les voit guère résider, en même
temps, dans des personnes différentes. Car l’un et l’autre requérant, pour être
exercés, les forces de la société, il est presque impossible de remettre les
forces d’un Etat à différentes personnes qui ne soient pas subordonnés les unes
aux autres. Que si le pouvoir exécutif et le pouvoir fédératif sont remis entre
les mains de personnes qui agissent séparément, les forces du corps politique
seront sous différents commandements ; ce qui ne pourrait qu’attirer, tôt
ou tard, des malheurs et la ruine de l’Etat.»
De la tyrannie, de la résistance
Dans le
chapitre XVIII du Traité du gouvernement civil, J. Locke aborde la question de l’usurpation est
l’exercice d’un pouvoir auquel d’autres ont droit. Il définit aussi la tyrannie
comme étant l’exercice d’un pouvoir outré et pour l’avantage exclusif de celui
qui l’exerce. La volonté du tyran se substitue aux lois et règles. Les ordres
et les actions du tyran tendent à asseoir sa domination. Le tyran suit
entièrement sa volonté et ses passions déréglées, selon J. Locke.
Aucune forme de
gouvernement n’est à l’abri de la tyrannie, car, écrit J.
Locke : « partout où les personnes qui sont élevées à la
suprême puissance, pour la conduite d’un peuple et pour la conservation de ce
qui lui appartient en propre, emploient leur pouvoir pour d’autres fins,
appauvrissent, foulent, assujettissent à des commandements arbitraires et
irréguliers des gens qu’ils ont obligés de traiter d’une toute autre
manière ; là, certainement, il y a tyrannie, soit qu’un seul homme soit
revêtu du pouvoir, et agisse de la sorte, soit qu’il y en ait plusieurs. »
Le tyran agit
en violant les lois de la Cité et porte préjudice à autrui. Il use aussi de la
force à sa disposition à l’égard de ses sujets et que les lois ne permettent point. J. Locke
préconise dans ce cas l’opposition, car l’autorité tombe lorsqu’elle ne
s’exerce pas dans le cadre de la loi. L’opposition est d’autant plus légitime
lorsqu’elle est une réaction à la force injuste et illégitime. Cette opposition
est aussi légitime lorsqu’il s’agit de réagir à la violence. Pour J. Locke toute
autre opposition ou résistance s’attire une juste condamnation. Cette dernière
forme de résistance peut être, dans une société politique, à l’origine de la confusion et de
l’anarchie.
L’opposition
est organisée à l’encontre des actes des
officiers et personnes commises à cet
effet par le Prince[1].
Si cette opposition est refusée par le prince, il risque de se mettre en état
de guerre avec ses sujets et par conséquent susciter le recours à des réactions
de type de celles qui prévalaient dans l’état de nature. Et même les actions du
prince doivent se conformer aux lois. J. Locke note que «si quelqu’un a reçu
ordre du roi d’arrêter un homme, il ne s’ensuit point qu’il ait droit
d’enfoncer la porte de sa maison pour se saisir de lui, ni d’exécuter sa
commission dans certains jours, ni dans certains lieux, bien que cette
exception-là ne soit mentionnée dans la commission : il suffit que les
lois la fassent, pour qu’on soit obligé de s’y conformer exactement ; et
rien ne peut excuser ceux qui vont au-delà des bornes qu’elles ont marquées. En
effet le Roi, tenant des lois toute son autorité, ne peut autoriser aucun acte
qui soit contraire à ces lois, ni justifier par sa commission, ceux qui les violent.»
Les sujets ne
sont pas fondés à recourir à la force du moment qu’ils ne sont pas empêchés
d’appeler aux lois pour demander réparation des dommages subis. S’ils en sont
empêchés, ils en sont mis en état de guerre, ce qui rend justes et légitimes leurs
actions et leur résistance. En dehors de la légitime défense lorsque l’individu
est acculé à recourir à la violence, l’usage de la force et de la violence, que ce soit dans les rapports sociaux ou contre
les magistrats, est considéré comme relevant de l’état de nature et par
conséquent banni dans la société politique.
Et même dans le
cas où un magistrat appuyait de son pouvoir des actes illicites et fait
obstruction au recours à la loi par une ou plusieurs personnes, la résistance
ne fait que troubler le travail du gouvernement pour des affaires de peu
d’importance. La résistance ne peut que les engager dans une contestation (dans un
Etat bien affermi) dans laquelle ils ne
pourraient que périr. Ce n’est en l’occurrence pas une affaire qui concerne tout
le peuple. Dans le cas où tout le peuple est persuadé que ses lois, ses biens,
ses libertés, sa vie sont en danger la résistance est légitime. Dans ce sens
J. Locke écrit : « Si tout le monde observe que les prétextes
qu’on allègue pour justifier une conduite, sont entièrement opposés aux actions
et aux démarches de ceux qui les allèguent, qu’on emploie tout ce que
l’adresse, l’artifice et la subtilité ont de plus fort, pour éluder les
lois ; qu’on se sert du crédit et de l’avantage de la prérogative d’une
manière contraire à la fin pour laquelle elle a été accordée ; qu’on
choisit des Ministres et des Magistrats subordonnés, qui sont propres à
conduire les choses à un point funeste et infiniment nuisible à la nation, et
qu’ils sont en faveur plus ou moins , à proportion des soins qu’ils
prennent et du zèle qu’ils témoignent, à l’égard de cette fin que le Prince se
propose ; que déjà le pouvoir arbitraire a produit ses effets très
fâcheux ; qu’on favorise sous main une religion que les lois
proscrivent ; qu’on est tout prêt à l’introduire et l’établir
solennellement partout ; que ceux qui travaillent à cela sont appuyés,
autant qu’il est possible ; qu’on exalte cette religion, et qu’on la propose comme la meilleure ;
qu’une longue suite d’actions montre que toutes les délibérations du conseil
tendent là ; qui est-ce alors qui peut s’empêcher d’être convaincu, en sa
conscience, que la nation est exposée à de grands périls, et qu’on doit penser
tout de bon à sa sûreté et à son salut ?… »